Sandrine Martinet : « C’est un immense cadeau qu’on m’a fait, mais un cadeau avec des responsabilités »

Cette incroyable judokate n’en sera pas à son coup d’essai à Tokyo.  En effet, elle vit ses premiers Jeux à Athènes où elle revient avec une médaille d’argent. En plus d’une carrière sportive bien remplie, elle arrive à gérer une vie professionnelle accomplie en tant que kinésithérapeute et une vie personnelle épanouie avec son mari et ses deux enfants. Avec « ne rien lâcher » pour devise , Sandrine sait rebondir même après des gros coups durs comme après les Jeux de Londres où une blessure à la malléole la prive d’un succès paralympique, elle revient plus forte que jamais à Rio et s’empare de l’or paralympique. Elle tentera de récidiver à Tokyo pour ses 5emes Jeux dans une catégorie inférieure (-48kg)

Sandrine, tu as été désignée porte drapeau début juillet de l’Equipe de France. Quelle a été ta première réaction et aujourd’hui maintenant que l’émotion est peut-être redescendue, comment tu te sens ?

En fait c’est moi qui ai appelé Elie Patrigeon, le Directeur Général du CPSF le vendredi car il fallait vraiment qu’il n’y ait pas de fuite pour l’exclusivité. Moi je devais partir en stage à Dax et si je ne me rendais pas à Dax, les autres judokas allaient savoir que j’étais porte drapeau alors que s’ils  me voyaient là-bas c’est que je l’étais pas. Donc on avait tous libéré cette journée. Je l’appelais pour résoudre les histoires de train et il me dit qu’il avait prévu de m’appeler quelques heures plus tard mais comme je l’appelais il en a profité pour me le dire. Ça m’a enlevé un stress de fou : l’attente du coup de fil du samedi, « est ce que c’est moi  est ce que c’est pas moi ».  Chacun des candidats méritait d’y être porte drapeau, chacun avec des personnalités différentes, une histoire à raconter, c’était dur de savoir avec ce système de vote. J’ai poussé un cri, tu sais le cri que tu pousses quand tu gagnes. J’ai fini le coup de fil avec Elie en pleurs, c’était dingue. Mon mari était sur la terrasse et à travers la baie vitrée je lui ai fait le signe du drapeau qu’on porte et il a compris tout de suite. Une fois que je raccroche, on est super heureux tous les deux. C’était le seul à être au courant. C’est tellement incroyable d’être porte drapeau, y’a tellement peu d’athlètes qui ont cette chance. C’est une immense fierté et un immense honneur mais aussi une grande responsabilité. Pour reprendre les mots de Damien Seguin (porte drapeau à Londres en 2012), c’est un immense cadeau qu’on te fait. Les sélections sportives, les médailles on travaille dur pour, c’est notre job, alors qu’être porte drapeau c’est un cadeau qu’on te fait pour récompenser ton parcours sportif et tes valeurs humaines et sportives. Mais c’est un cadeau avec des responsabilités, on te fait confiance, et on pense que tu as toutes les armes pour.

Et tu savais qui étaient les autres porte-drapeaux ?

J’ai demandé à savoir qui était l’autre porte drapeau paralympique, mais je n’ai pas voulu savoir les résultats. En revanche je voulais la surprise pour les olympiques. Clarisse, on s’en doutait un peu mais quand j’ai vu Samir rentrer, j’étais trop contente, c’était une vraie belle surprise. Samir connait cette résilience qui nous est chère aux athlètes paralympiques.

J’étais contente que ce soit Stéphane, j’ai un vécu particulier depuis Pékin 2008 avec lui où il a vu ma finale avec les autres judokas, il dit qu’il a vécu un grand moment alors que je perds. Ensuite on se croise au village et il m’exprime ce qu’il a vécu, il me fait revivre ma finale en quelque sorte et il m’a mis les poils. Ça a commencé comme ça. Ensuite on s’est lié avec le tennis , on est allé les encourager pour la finale et on a retourné les stade en faveur des français. A Londres j’ai trouvé du réconfort auprès des autres sports et notamment auprès du tennis car l’ambiance était vraiment morose avec les autres judokas. C’est là que tu vois que c’est une seule et même équipe de France et à Rio on gagne tous. C’est des grands moments qu’on vit entre athlètes et qu’est ce que c’est bon et c’est ça qu’on a envie de transmettre aux jeunes, indépendamment des victoires.

C’est la première fois que les portes drapeaux paralympiques sont désignés par un vote du public, est-ce un honneur supplémentaire ?

Oui c’est certain.  Il y a eu beaucoup de gens qui ont voté qui ne nous connaissent pas mais je les ai peut être touché par mon parcours et c’est une belle reconnaissance.
Le grand public a pu ainsi découvrir ces sept parcours, ces sept personnes. Ça leur a donné envie de nous suivre et ça a créé une émulation à travers ce vote. Avec un objectif Paris 2024 où ce sera chez nous, en terme de communication, ça fait une médiatisation supplémentaire c’est top.

Quelles sont pour toi les qualités d’un porte-drapeau ?

Avec Stéphane, on va faire ce qu’on aime : partager avec les athlètes, utiliser toute notre expérience, tout notre vécu pour aider tout le monde.

Le fait qu’on soit deux c’est super, parce que tous ces moments ça se partage. C’est un bonheur supplémentaire et c’est aussi très pratique d’être deux. Les athlètes vont pouvoir aller voir l’un ou l’autre en fonction de leurs affinités, de nos caractères et de notre vécu. On va se partager à deux les médias aussi, c’est super.
Un porte-drapeau, c’est quelqu’un qui doit communiquer avec les athlètes. Il y a différentes formes de communicant, on peut être communicant. Chacun est différent et on a un moyen de communication différent. Il va falloir qu’on soit au plus proche des athlètes et qu’on puisse répondre à toutes leurs questions. Un capitaine ça doit motiver et aussi prévenir les problématiques qu’on a sur les Jeux qui peuvent nous faire sortir du focus. Attente, isolement contraint, pas de public, notre expérience fait qu’on sait à quoi il faut faire attention et quels petits mots on va aller dire aux autres  pour qu’ils restent focus et prennent du plaisir sans être envahi par le stress.
On va devoir aussi passer les bons messages aux médias, sur le fait que les athlètes paralympiques sont des athlètes à part entière qu’ils sont aux Jeux Paralympiques pour être performants.

Qu’as-tu envie de transmettre aux autres sportifs de la délégation ?

J’ai envie qu’ils rêvent, qu’ils prennent beaucoup de plaisir mais aussi leur dire qu’on n’a rien sans rien. Si on a eu des carrières incroyables, c’est qu’on a bossé, qu’on a répété, on s’est astreint à une hygiène de vie irréprochable, à la dureté de l’entrainement et qu’on est dans le dépassement de soi dès qu’on se lève. C’est ce qui va faire la différence par rapport aux autres.

J’ai aussi envie de transmettre beaucoup de positif , tu peux revenir après une blessure, tu peux rebondir. Dans l’échec ou la blessure tu engranges un vécu qui va te servir pour la prochaine fois. Moi après Londres, j’ai tellement appris. Ce n’est pas facile de tout reconstruire et je comprends que ce soit pas évident pour tout le monde.

C’est la première fois qu’il y a une seule et même équipe de France qu’est-ce que ça change ?

Avoir cette belle équipe de France unie avec ses valeurs, ça change tout en terme d’image. On a tous le même objectif. L’image est importante et très forte mais ça va bien au-delà !

Mais pour moi , le vrai changement s’est fait à Londres. Ce sont vraiment des Jeux charnières. A partir de là, on a vu une évolution sur les Team d’athlètes, sur les manifestations comme les Etoiles du Sport, les émissions TV. Athlètes olympiques et paralympiques, on se côtoient vraiment beaucoup plus depuis Londres. Il y a encore beaucoup de travail à faire. Le paralympisme est sorti de l’ombre et on avance tranquillement vers la lumière jusqu’à Paris 2024. En Judo, on a toujours été très proches entre athlètes, on a des stages en commun, certains judokas s’entrainent à l’INSEP aujourd’hui. On se connait bien. Aujourd’hui quand on voit leurs performances aux Jeux, ça nous booste. Les Jeux olympiques sont une rampe de lancement incroyable pour nous.  A la société maintenant de s’en saisir et de faire évoluer les choses dans le bon sens.

Tokyo 2021 est une répétition avant Paris 2024 dans cette démarche d’une même bannière pour l’Equipe de France l’idée n’est elle pas de susciter l’intérêt en faisant émerger des personnalités paralympiques ?

C’est effectivement le tremplin pour les Jeux chez nous.  Avoir deux porte-drapeaux aussi ca fait aussi avancer les choses sur l’égalité femmes-hommes. Il va falloir transformer l’essai à Paris dans trois ans et même encore après. C’est une étape. En Judo, il faut 8 à 10 ans avant de former un athlète et c’est un peu pareil pour les autres sports. Moi je me bats pour qu’à travers ces Jeux, on fasse rêver des jeunes, qu’on leur donne envie de faire du sport.  Vous avez un handicap mais regardez un peu ce que vous pouvez faire. Je veux rassurer les parents aussi et leur dire « votre enfant même s’il est en situation de handicap, sans parler de haut niveau mais il va pouvoir vivre une vie sympa avec une famille , des enfants un métier ».  Moi quand j’étais jeune avec mon handicap, je me disais juste est ce que je vais trouver quelqu’un qui va m’aimer et avec qui je vais pouvoir faire des enfants. J’aurais aimé voir des personnes inspirantes comme peut l’être un athlète pour me rassurer quand j’étais petite et que j’étais rejetée à l’école. C’est aussi vrai pour ceux qui du jour au lendemain ont leur vie chamboulée par un accident, c’est rassurant et inspirant.
Ça permet aussi de sensibiliser et d’arrêter de voir le handicap comme quelque chose de péjoratif. On a tous nos différences et nos difficultés, mais comment on se relève et comment on avance. Je voudrais juste être là à titre d’exemple, de motivation sans jugement.

Vous êtes 4 portes drapeaux avec Stéphane, Clarisse et Samir, Quels sont tes liens avec les trois autres ?

Clarisse on se connait depuis plusieurs années, elle est monstrueuse, c’est une bosseuse. Elle a travaillé dur et elle a tout en mis en œuvre pour gagner à Tokyo. Si y’a quelqu’un d’exemplaire au judo c’est bien elle. Après sa défaite en finale à Rio, elle s’est re-mobilsée et elle a tout fait pour venir chercher la médaille qui lui manquait. Elle représente les valeurs du sport. Elle est toujours hyper souriante, hyper aimable.

Samir, on s’est croisé dans différents temps comme handi cirque ou les Etoiles du sport. Il a une histoire similaire à la mienne avec une grosse blessure à Rio et je lui souhaite bien sûr ce qui m’est arrivé ensuite. C’est quelqu’un qui travaille, qui ne lâche rien, il a cru en lui. Il a dit sur le lit d’hôpital qu’il allait se soigner et qu’il allait revenir et il est là à Tokyo pour aller chercher une médaille. C’était une vraie belle surprise de le voir porte drapeau.

Carton plein pour le judo pour les porte drapeau ?

Oui c’est très bien pour le judo qui est un sport phare des Jeux  et qui a toujours ramené des médailles.
Pour le sport féminin, c’est top aussi. Et ça va faire du bien les sports d’intérieur qui ont souffert de la crise du Covid. Ça met en avant notre sport. On espère qu’à la rentrée, des jeunes vont pousser la porte des clubs de judo.

Les Jeux ont été reportés d’un an, est ce que ça a changé quelque chose dans ta préparation ?

Oui ça a été très compliqué parce que j’ai failli arrêter. Je ne me voyais pas repartir pour un an de plus et je savais que je devais prendre ma décision vite. Quand il y a eu le report des Jeux, c’était soit, j’arrête tout de suite, soit je continue et je vais à Tokyo. Le niveau a énormément augmenté, donc le volume d’entrainement aussi  une semaine sur deux je ne suis pas à la maison. Le judo c’est un sport très traumatisant pour le corps à cause des entrainements et aussi des régimes. Un an de plus ça me paraissait vraiment une montagne. Et puis avec mon conjoint on a réfléchit et puis on voulait pas avoir fait déjà tous ces efforts pour rien alors on s’est relancé et le fait d’être porte drapeau , ça a récompensé le fait d’avoir fait cette année supplémentaire.

Tokyo , ce sera des 5èmes Jeux Paralympiques, est ce qu’il y aura des 6èmes ?

Non clairement, il n’y aura pas de 6èmes. Il y a déjà trop de fatigue, Moi je fais les Jeux pour les gagner et là j’ai des projets dans la tête aussi bien familiaux que professionnels. Mon corps dit non. Les régimes c’est hyper difficile. J’aurais un rôle à jouer quoiqu’il arrive en 2024 mais pas sur le tatami. Il faut savoir s’arrêter et passer à autre chose.

Quelles sont tes ambitions ?

J’y vais pour gagner, je suis numéro 1 mondial, je veux faire le doublé. Après rien n’est fait et ça reste une compétition. Il faudra être présente le jour J mais l’objectif c’est l’or.

crédit photo : Cyril-Masson-Equipe-de-France

 

 

 

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